10. Infracognition


S’accroît plus que nous ne le pensions possible notre capacité de réaction instinctive à des phénomènes dont la claire conscience ne parvient jamais, dans nos cerveaux ni à travers les interactions subjectives et sensorielles qui concourent à nos processus d’individuation, au stade de l’affirmation ou de la verbalisation. L’aperception des stimuli ambiants, les sollicitations faites à nos corps par les activités multiples et le tissu-discontinuum de la réalité cinétique suscitent un ensemble de déplacements et de transformations infra-cognitifs qui témoignent de l’intégration évolutive des modélisations environnementales et des augmentations technoprothétiques par ce que nous pourrions appeler un en-deçà réflexe, c’est-à-dire par un sous-conditionnement somatique en lequel s’actualisent incessamment nos facultés fonctionnelles. La raison (quels que soient les moyens et instances que nos conventions désignent par un tel mot – et posons pour raccourci et conventionnellement sa désignation de quelque chose de l’ordre de l’entendement, de l’intellect, de la lumière et de la logique) n’a qu’un rôle effectif très mineur dans les ajustements incessants qui permettent notre adaptation permanente aux changements écosystémiques, aux inventions scientifiques appliquées et à leur implémentation géostratégique dans la sphère du réel perceptible.

L’actualisation perpétuelle de nos rapports interfaciels ne s’effectue, dès lors, pas comme l’accès à nous permis à des zones de réalité disponibles toujours plus étendues, toujours plus adaptées, configurées et hospitalières mais, au contraire (selon une réversibilité symétrique non dialectique), comme l’inscription en nous, en nos logiques fonctionnelles-corporelles coïncidant intrinsèquement à nos processus mentaux, d’une signalétique toujours plus intensive et variée. Je suis, ainsi, une créature ergonomique en et sur laquelle les implémentations ont prise, bien plus encore que ne sont ergonomisées à mon usage les disponibilités réalitaires. Le paradigme du branchement a fait son temps ; celui, hégémonique, du réseau est un bon leurre – et comme tous les bons leurres on peut préférer y croire et s’y référer plutôt que de se flatter d’éviter sa séduction. Mais les effets de surface ne desservent pas les phénomènes d’accroche.

L’infra-cognition est un schème d’absorption-rétention non autonomisé, non volontaire et non formulable. Ou bien la condition de notre participation, en tant qu’interface, à la série extensive des interfaces proposées, une condition impropre à l’étude, dont l’on pourra interroger les capacités de traitement, les critères réactifs qui valident ou excluent l’adaptation d’un individu aux stimuli ambiants. Ou bien une aptitude primaire (fondamentale) à exercer, à expérimenter en situation permanente, sans réflexivité qui en court-circuiterait le machinal fonctionnement, à mettre en pratique, puisqu’aucune langue n’en saurait tracer les dimensions ni en restituer l’usage. J’absorbe, je retiens ; je prends part aux phénomènes, je participe des interfaces ; je m’adapte. L’accroissement perpétuel de nos facultés d’adaptation, de nos dispositifs rétentionnels et des types de figures adaptées qui s’y impriment sont des constituantes de nos processus d’individuation.